Les mots du Q, Camille Aumont Carnel ou le dictionnaire du désir joyeux

« Nommer, c’est faire exister. » — Camille Aumont Carnel, Les Mots du Q
Il y a des mots qu’on n’ose pas dire et d’autres qu’on souffle à mi-voix, entre deux soupirs, dans un lit encore tiède. Des mots qu’on invente à même la peau de l’autre, à la lisière du souffle. Et puis, il y a ceux qu’on écrit pour s’en libérer, s’en emparer et les faire danser avec grâce et un brin d’audace. Avec Les Mots du Q, Camille Aumont Carnel ne rédige pas un simple lexique. Elle compose un manifeste, une déclaration d’amour au langage charnel. Son ouvrage est une cartographie sensuelle de nos désirs, de nos contradictions, de nos tabous et de nos petits consentements imparfaits. Chaque mot y claque comme une gifle complice ou caresse comme un frisson inattendu. C’est politique, oui mais en nuisette. Intime, mais jamais pudibond, le ton y est tendre, drôle, impertinent et d’une insolence délicieuse. Publié aux éditions Le Robert en 2023, Les Mots du Q est un prolongement charnel de son compte Instagram jemenbatsleclito, suivi par des centaines de milliers de lecteurs en quête de récits, de définitions, de partages, de rires et de frissons. Mais entre deux posts likés, Camille Aumont Carnel a su faire de cet objet-livre une œuvre à part entière, littéraire, drôle, sensuelle et, osons le dire, nécessaire. Chronique d’un recueil de définitions qui font battre le cœur, froncer les sourcils et vibrer le bas-ventre.
Une déclaration érotico-politique
« On m’a dit que je parlais trop crûment. J’ai répondu : c’est votre regard qui est obscène. Pas mes mots. »
Au cœur du livre, une idée simple, mais puissante comme une main posée là où il faut : le langage façonne notre rapport au plaisir. Et ce que nous ne savons pas dire, nous peinons souvent à le vivre. Camille le sait et elle agit. Elle poursuit ici le geste d’un féminisme linguistique à la fois tendre et subversif, joyeux et brûlant, où chaque mot devient un acte de résistance et de volupté. Clitoris, vulve, plaisir anal, masturbation, sexe sans pénétration, asexualité, fétichisme… Rien n’est tu, tout est nommé. Un abécédaire subjectif, incarné, fouillé, mais jamais froid. Ici, pas de jargon ou de ton doctoral. Chaque mot est une histoire, une anecdote friponne, un témoignage vibrant, une vanne bien placée, voire un cri, parfois, venu du bas-ventre.
C’est tout l’inverse d’un dictionnaire. Le langage y est chaud, vivant et transpirant. Il palpite, respire et colle à la peau. Les mots sont explorés, triturés, redressés, caressés. Et derrière chacun d’eux, il y a une voix. Celle de Camille, lucide, drôle et douce mais sans fard, ni détours. Sa voix nomme pour désarmer, rit pour libérer et murmure, avec cette précision troublante qui fait mouche.
Une écriture qui ose tout
Ce qui saisit d’abord, c’est le ton. Ce ton si rare, trop rare. L’érotisme, bien souvent, vacille entre deux extrêmes : la gravité ou la dérision. L’auteure, elle, trouve un équilibre miraculeux, quelque part entre le soupir et le fou rire, entre la confidence intime et la déclaration politique.
« Un cunni, c’est pas un préambule. C’est un moment. Parfois même : c’est tout. »
La langue est vive, directe et limpide. Parfois drôle à s’en tordre de plaisir et par instants touchante à en pleurer doucement. Une langue qui ose tout, sans jamais forcer. On y croise des trésors : la maladresse adolescente, le sexe post-partum, les fantasmes qu’on murmure ou les gros mots qu’on apprivoise, jusqu’à les trouver tendres. Camille parle de sodomie comme on parlerait d’une randonnée un peu technique : avec précision, enthousiasme, et cette douce manière de redonner au corps sa souveraineté sans jamais le rendre banal. Sa plume désacralise sans désenchanter. Elle dit les choses crûment, mais jamais vulgairement. Et son écriture invite à jouir et à réfléchir, dans le même souffle. Ce souffle, justement, on le sent sur la nuque à chaque page.
Un féminisme incarné
Le livre est résolument féministe mais pas militant au sens classique. Il ne crie pas et ne brandit pas de slogans. Il susurre, déroule et observe. Dans cette douceur, il frappe plus fort que mille manifestes. Ce qu’il dit, il le dit au creux de l’oreille. Et une vérité murmurée touche parfois plus qu’un discours scandé.
« Une femme qui jouit sans demander la permission, ça a toujours fait peur. Et envie. »
Chaque mot est l’occasion d’explorer les injonctions sexuelles, la charge mentale du plaisir et le poids du silence. Camille écrit avec et pour toutes celles qui ont cru que leur désir était secondaire, qu’un orgasme était une faveur ou qu’un mot trop cru pouvait effacer leur légitimité à jouir.
Mais Les Mots du Q n’est pas un livre entre femmes. Il s’adresse aussi aux hommes, sans ironie, sans les acculer et sans le ton professoral. Il les invite, les trouble et les appelle à la nuance comme à l’écoute véritable. Le consentement n’est pas une case qu’on coche à l’entrée, c’est une conversation continue. Et le plaisir est un art qui se joue à plusieurs, avec finesse, attention et un peu d’humour aussi, quand les choses dérapent tendrement. Ce n’est pas une guerre des sexes mais une grammaire du désir à conjuguer ensemble.
Le Q comme littérature vivante
Le livre se présente comme un dictionnaire. Mais il se lit comme un recueil de nouvelles érotiques, de confidences susurrées et de chroniques sensuelles à picorer du bout des doigts. Chaque mot est une clé, une porte entrouverte et une scénette.
« L’érotisme, ce n’est pas ce qu’on fait. C’est comment on le dit. »
Et Camille Aumont Carnel, elle, le dit très bien, d’une langue claire, directe et incarnée. Ici pas d’esbroufe ou de poudre aux yeux, juste un style précis, vibrant, qui sait être littéraire sans minauder. Sa voix qui parle de chatte, de cul, de peau, a la même intensité qu’un poète qui parlerait du ciel ou d’une éclaircie après la pluie. Elle nous rappelle que le langage du sexe n’est pas un bas-fond. C’est un trésor mal rangé et une richesse trop longtemps reléguée à la marge. Pour l’auteure, il est temps de le réhabiliter, par la bouche, par la plume et par les soupirs partagés à la lecture d’un mot juste, posé là, comme une main au bon endroit. Parce que oui, les mots aussi peuvent faire jouir.
Le plaisir comme joie partagée
Ce livre, c’est aussi un lieu de sororité, de reconnaissance mutuelle et de douce connivence. C’est un espace où les corps se racontent sans se justifier. Et tous les désirs y trouvent leur place. L’auteure y parle de sexe lesbien, gay, hétéro, bi, asexuel, kinky, romantique, solitaire. Et surtout, elle ne juge jamais. Elle accueille, écoute, ouvre les bras et les pages.
Dans un monde saturé d’images photoshopées, de scripts sexuels prémâchés et de récits aussi normés qu’un plan porno, ce petit livre arrive comme un bain chaud après une journée trop longue. Il ne donne pas de leçons et apaise sans éteindre. Il réconcilie sans moraliser et tend une serviette douce en disant : tu peux être toi, ici. C’est un livre qu’on peut lire à deux, à voix basse, entre deux rires ou deux frissons. On peut l’offrir à une sœur, à un amant, à une amie, ou à soi-même, comme un cadeau à son propre désir. Parce que parfois, le plus beau geste de liberté, c’est de choisir ses mots.
Finalement, Les Mots du Q n’est pas seulement un livre sur le sexe. C’est un livre sur la parole retrouvée. Une tentative douce, précise, audacieuse de dire ce que l’on ressent. Entre ses pages, le Q n’est plus une lettre censurée. C’est un souffle, une langue et un sourire en coin. L’auteure invite son lecteur à se désirer dans la lumière, à s’explorer dans le langage et à s’émouvoir dans le trouble.
« Jouir, c’est politique. Mais c’est aussi poétique. »
Et dans ce petit manifeste signé Camille Aumont Carnel, les deux s’enlacent sans jamais s’oppresser. Le mot devient chair et la phrase, frisson. C’est de la littérature érotique déguisée en dictionnaire ou peut-être l’inverse. Mais une chose est sûre, on referme ce livre avec le sentiment d’avoir lu quelque chose de rare. Et d’avoir, un peu, joui entre les lignes.