Littérature érotique : les maîtres du libertinage
Ils sont plusieurs, pendant des siècles, à avoir bravé les foudres de la religion et de la morale pour s’émanciper. Et proposer une autre définition des relations tant amoureuses que sexuelles.
A l’époque de l’Ancien Régime où les mariages arrangés étaient légion – Molière a même intitulé une comédie-ballet “le Mariage forcé” – certains auteurs ont peu à peu distillé l’idée que le plaisir pouvait s’affranchir de la censure. Il pouvait être clamé haut et fort. On les a appelés “les Libertins“. C’est particulièrement au XVIIIe siècle qu’ils se sont illustrés par de nombreux ouvrages.
Restif de la Bretonne
“Ce n’est pas le Vice que j’honore, mais la Vertu dans le Vice” est l’une de ses célèbres phrases.
Restif de la Bretonne, huile sur toile, vers 1776
Cet écrivain se pose comme celui qui désire montrer à ses semblables “différentes routes de bonheur, surtout dans l’état du mariage”.
Très timide et mal à l’aise avec les hommes, il voue un culte aux femmes. A partir du nombre de ses conquêtes il a établi son “Calendrier“, une série de noms attribués à chaque jour de l’année comme autant de figures saintes. En s’y référant il dit: “J’honore tous les êtres qui m’ont fait connaître et donné du plaisir”.
Mais il nous apparaît aujourd’hui comme celui qui a su avec brio justifier une vie quelque peu débauchée: séduire une jeune fille, c’est l’empêcher de se compromettre avec un autre; engrosser une femme, “c’est être vertueux, que de faire des enfants”; posséder une femme mûre, c’est la sauver de son insatisfaction…
Andréa de Nerciat
“Le parfait amour est une chimère”.
Cet auteur peu connu a pourtant excellé dans le genre érotique.
Cultivé, passionné de musique, c’est un fin observateur des mœurs de son temps, le XVIIIe siècle, dont il donne un tableau du vice dans ses ouvrages. Il prétend offrir au lecteur une représentation véridique du libertinage et s’appuie pour cela sur des pratiques réelles. On découvre, dans les Aphrodites, un exemple de ce qui se jouait dans les soirées ou les clubs fermés: les Aphrodites sont des initiés qui prennent des noms de guerre issus du règne minéral tandis que les Auxiliaires sont des disciples qui ont un nom lié au monde végétal. Le château où ils officient est gardé par des serviteurs sourds et muets. Le jeudi est lié à la sodomie et les femmes qui s’y soumettent sont appelées des “Jannettes” (du dieu Janus, qui a deux têtes) pour désigner la double source du plaisir…
Choderlos de Laclos
Célèbre pour son roman épistolaire, Les Liaisons dangereuses, cet auteur a souvent été accusé à tort de ressembler dans la vie à son personnage, Valmont, le libertin amoureux de Madame de Merteuil, sa comparse du vice.
Extrait du film de Stephen Frears
Dans cette fiction, les protagonistes s’empêchent de céder à l’amour.
Ils s’organisent, en fins stratèges, pour s’amuser du sort des autres amoureux, leurs victimes qu’ils malmènent comme des marionnettes. Mais à ce jeu ils perdront à leur tour: Valmont va mourir en duel et la marquise de Merteuil sera humiliée en public puis s’éteindra peu à peu, défigurée par la petite vérole.
L’auteur cherche à mettre en lumière les procédés infâmes des Libertins qui se placent en maîtres sur l’échiquier du mal. Dans sa préface il présente son projet ainsi:
« Il me semble que c’est rendre un service aux mœurs que de dévoiler les moyens qu’emploient ceux qui en ont de mauvaises pour corrompre ceux qui en ont de bonnes. »
Le Marquis de Sade
C’est le plus célèbre des Libertins mais aussi celui qui épouvante le plus lorsqu’on lit ses ouvrages au premier degré car il y prône une liberté absolue.
Ses personnages, qui sont pour la plupart des aristocrates ou des prélats, jouissent d’un pouvoir sans limite.
Cet auteur, qui a passé plus d’une vingtaine d’années en prison et qui finira ses jours à l’asile de Charenton, a su montrer l’Homme dans toute sa bestialité.
Mais par cela il a réussi le pari de montrer la puissance du fantasme: “Toute la terre est à nous dans ces instants délicieux; pas une seule créature ne nous résiste; tout présente à nos sens émus la sorte de plaisir dont notre bouillante imagination la croit susceptible: on dévaste le monde… on le repeuple d’objets nouveaux” (Juliette, t. VIII).
La conquête du plaisir a eu ses détracteurs mais aussi, en ces figures du libertinage, ses courageux défenseurs. Le corps qu’ils mettent en avant n’est pas le simple organe reproducteur auquel la religion l’avait réduit mais une source infinie de jouissances.