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La gourmandise amoureuse, quand gastronomie et érotisme fusionnent

« On mange comme on fait l’amour : avec passion, gourmandise ou indifférence », affirmait Colette, fine observatrice des appétits humains. De fait, gastronomie et érotisme entretiennent une relation intime complexe, symbolique et délicieusement troublante. Chaque repas est une mise en scène sensuelle et chaque dégustation une exploration du désir. Et comme toute bonne cuisine, un érotisme réussi demande créativité, finesse et juste ce qu’il faut de condiments pour relever le goût. Mais cette relation profonde dépasse le simple plaisir gustatif. Elle se nourrit d’imaginaire, d’histoire, de culture et se révèle dans la littérature érotique comme un art subtil et transgressif. À table donc, chers lecteurs gourmands et polissons, pour une exploration sensorielle où papilles et peau vibrent à l’unisson.

Une histoire gourmande du désir

L’union de la nourriture et de l’érotisme est ancestrale et universelle. Dès l’Antiquité, le banquet grec ou romain se présente comme un espace rituel où nourritures terrestres et plaisirs charnels se confondent. Vin, miel, fruits et chairs s’y mêlent joyeusement, faisant du festin antique un véritable cérémonial hédoniste. Aphrodite elle-même, figure mythologique centrale et déesse de l’amour et des plaisirs, incarne cet idéal où l’amour sensuel se mêle aux fruits abondants. Elle est souvent représentée entourée de pommes, de grenades ou de figues, fruits évocateurs du désir féminin et symbole de fertilité. L’art, de la peinture à la sculpture antique, met souvent en scène ces banquets où le vin coule à flots, libérant les corps et les esprits dans une ivresse collective propice à l’abandon érotique.
Et dans la littérature érotique, la gourmandise est une invitée permanente. Dans son Art d’aimer, Ovide suggère explicitement cette corrélation et recommande vivement d’accompagner les rencontres amoureuses d’un festin choisi :

« Une table bien mise est souvent le meilleur prélude aux amours ».

Plus tard, au XVIIIe siècle, Casanova, dans ses mémoires libertines, démontre par la pratique l’intime complicité entre gastronomie et séduction. Chaque repas est un prélude à ses conquêtes : « Je n’ai jamais pu résister à une femme qui mange avec appétit », souligne-t-il, affirmant l’érotisme latent des plaisirs gourmands. Cette approche dépasse même le plaisir gustatif pour devenir un rituel de séduction complexe, où l’appétit sexuel se nourrit symboliquement de l’appétit gastronomique. On retrouve cette dimension festive et érotique dans les Cent Nouvelles nouvelles, ce recueil du XVe siècle où ripailles et ébats se confondent. Les plaisirs du ventre y précèdent souvent ceux du bas-ventre. Cette oralité triviale mais savante ancre la sexualité dans le quotidien, dans la chaleur d’une cuisine et dans les effluves d’un ragoût longuement mijoté.

La gastronomie comme prélude à la volupté

À table, la sensualité s’impose dès la mise en bouche. La nourriture réveille les sens : textures soyeuses, saveurs douces-amères, piquantes ou suaves, parfums subtils, aphrodisiaques… Et l’érotisme gastronomique révèle la complexité de ses symboles dans la littérature. Chez Anaïs Nin, dans ses journaux, l’acte culinaire est un prélude indispensable à la sensualité :

« Je veux une orgie des sens, une débauche de plaisirs où chaque plat ouvre un nouveau champ d’excitation ».

Nin ne décrit pas simplement une gourmandise sensuelle, elle l’élève au rang d’un art existentiel, où chaque aliment devient métaphore vivante du désir. Et chacun possède une charge érotique spécifique. Pour ce qui est des fruits, les fraises sont pulpeuses, les cerises charnues, les figues ouvertes et suggestives. Leur dégustation évoque naturellement les plaisirs les plus intimes. Le Marquis de Sade exploite aussi ce lien symbolique dans La Philosophie dans le boudoir :

« Tout ce qui excite l’appétit excite le désir ».

Pour lui, nourriture et sexualité sont intimement liées, impliquant une jouissance sans limites et une transgression totale. Chaque aliment, fruit, viande ou épice, devient une invitation à la transgression des interdits. Les aliments marins, notamment les huîtres, sont également au cœur de ce mariage savoureux entre gastronomie et sensualité. L’histoire raconte même que Casanova en consommait une cinquantaine par jour pour stimuler sa virilité légendaire.
Dans la symbolique psychanalytique freudienne, manger et aimer sont deux pulsions primaires intimement liées. Cette dimension profonde apparaît clairement dans l’œuvre provocante de Georges Bataille, notamment Histoire de l’œil, où il explore l’abîme érotique qui relie nourriture, corps et désir :

« Le plaisir suprême est de confondre les limites entre le corps et ce qui le nourrit ».

L’aliment devient un symbole transgressif, déstabilisant la frontière entre plaisir sensuel et pulsion cannibale.
Et comment ne pas évoquer Gamiani d’Alfred de Musset, où les banquets deviennent orgies, où le luxe des mets s’épuise dans le luxe des corps et où la bouche sert autant à goûter qu’à gémir ? Là encore, la cuisine se fait scène, et le désir, mise en bouche.

L’art subtil et historique des aphrodisiaques

Les aphrodisiaques sont la manifestation concrète du désir de l’homme à contrôler et amplifier sa sensualité par la nourriture. Historiquement, Ils constituent le lien le plus évident entre gastronomie et érotisme. Depuis l’Antiquité, les cultures du monde entier cherchent à stimuler le désir par une cuisine savamment pensée. Le gingembre, la cannelle, le chocolat ou les fruits de mer sont autant d’aliments chargés d’un pouvoir symbolique intense. Dans son ouvrage Aphrodite, Pierre Louÿs dévoile cette recherche constante d’intensification du plaisir par des aliments spécifiques :

« Les aliments sont les notes d’une mélodie érotique qui prépare les corps à l’amour ».

Mais ce pouvoir aphrodisiaque dépasse la simple chimie pour embrasser un imaginaire collectif puissant. Consommer ces aliments, c’est entrer symboliquement dans une histoire du désir. La tradition orientale, avec le Kama Sutra gourmand ou les tajines marocains utilise explicitement ces épices pour raviver les passions. Au Japon, certains chefs proposent des menus « shunga », en référence à l’art érotique japonais traditionnel. Dans les cercles aristocratiques du XVIIIe siècle, les aphrodisiaques font l’objet de recettes secrètes, échangées comme des promesses sulfureuses. La fameuse pomme d’amour, compotée de pommes au gingembre et au vin doux, fait frissonner les salons libertins autant que les alcôves. Et dans les boudoirs parfumés, on sert volontiers des amandes dragéifiées au musc, censées éveiller les sens et dissoudre les pudeurs.

Quand le corps devient festin

L’ultime fusion entre gastronomie et érotisme se réalise lorsque le corps lui-même se fait le lieu de la dégustation. La gastronomie devient jeu érotique et le corps se transforme en table sensuelle. Le nyotaimori japonais, où le corps nu d’une femme sert de plateau pour sushis, est une pratique exemplaire de cette fusion totale. Mais c’est encore une fois la littérature qui pousse cette idée à son extrême. Georges Bataille, dans Histoire de l’œil, repousse les limites de cette expérience en explorant avec une poésie troublante le lien entre l’érotisme et la transgression alimentaire. Le corps ainsi transformé en festin dévoile les limites entre désir, appétit, plaisir et transgression. Cette pratique révèle un fantasme profond : la consommation du corps de l’autre comme symbole d’union ultime, un acte qui fascine autant qu’il dérange.
On pourrait aussi évoquer les jeux d’aliments sur la peau, du miel coulant entre les seins à la chantilly sur le ventre, du chocolat fondu sur la nuque à la liqueur sur les hanches. L’art délicat de déguster ces gourmandises directement sur la peau de l’autre invite à explorer lentement chaque recoin du corps, en savourant autant le plaisir du goût que celui du toucher. Une scène que l’on retrouve chez Esparbec, maître du roman porno français, où la femme devient buffet, le lit, table de banquet, et l’homme, ogre amoureux. L’aliment devient caresse et l’ingestion, une forme de pénétration inversée.

En définitive, qu’on le vive dans l’intimité d’un tête-à-tête amoureux ou dans la convivialité libertine d’un dîner partagé, le mariage entre gastronomie et érotisme célèbre avant tout le plaisir de vivre intensément ses sens. Comme le rappelle joliment Colette :

« Il faut avec les mots de tout le monde écrire comme personne, et avec les mets de tous les jours inventer des saveurs nouvelles ».

La gourmandise amoureuse est donc bien plus qu’un divertissement. Elle est un art de vivre sensuel, une philosophie de l’intime qui, en libérant nos désirs gustatifs et charnels, nous apprend à goûter pleinement l’existence.
Ainsi, chers lecteurs polissons, rappelons-nous qu’en amour comme en gastronomie, l’important reste de goûter pleinement l’instant, avec ce mélange subtil de délicatesse, d’audace et d’humour qui rend chaque expérience à table ou au lit inoubliable. En matière de plaisir, il n’y a pas de petites bouchées, seulement des appétits bien aiguisés.

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