Interview de Margot Maurel sur son ouvrage Grossesses et sexualités

Margot Maurel, thérapeute et autrice spécialisée dans les questions d’intimité, nous invite à explorer un sujet encore trop souvent tabou : la sexualité pendant la grossesse. Dans son ouvrage Grossesses et sexualités, elle déconstruit avec finesse et bienveillance les idées reçues, pour permettre à toutes et à tous de vivre cette période unique avec épanouissement et sérénité. A l’occasion de la sortie de son ouvrage aux éditions La Musardine, nous sommes parties à sa rencontre.
Comment est née l’idée de ce livre ? As-tu eu un déclic personnel ou professionnel pour l’écrire ? Tu racontes qu’une femme enceinte est entrée à La Musardine pour demander un Kamasutra de la grossesse. Ce moment a-t-il été déterminant pour toi ?
Plusieurs éléments se croisent. Comme je le raconte dans le livre, une femme enceinte est entrée dans la librairie La Musardine pour demander un Kâmasûtra de grossesse, mais le libraire n’a pu que lui répondre par la négative. J’ai été surprise lorsque mon éditrice m’a appelée pour me proposer ce projet seulement un mois après mon accouchement. Au départ, j’ai refusé car j’avais d’autres préoccupations en tête. Pourtant, dès le soir même, j’ai commencé à écrire. Après quelques recherches, j’ai constaté avec étonnement qu’il existait très peu de sources sur le sujet.
Pourquoi la sexualité pendant la grossesse reste-t-elle un sujet aussi tabou ?
Une certaine binarité persiste concernant la représentation des femmes : elles sont soit madones, soit putains, comme si elles ne pouvaient pas être les deux à la fois. Cette image d’une femme enceinte ayant une vie sexuelle dérange, indépendamment des cultures ou des religions. Beaucoup de gens sont mal à l’aise avec l’idée qu’une mère puisse avoir une sexualité affirmée. Pourtant, cela est tout à fait possible.
Tu évoques la pression de « retrouver une sexualité normale après ». Est-ce qu’on oublie un peu vite que la sexualité n’est pas forcément perdue pendant la grossesse ?
Exactement ! La grossesse ne met pas nécessairement fin à la sexualité ; elle ne disparaît pas, elle évolue simplement. Certaines de mes patientes se sont même senties plus épanouies durant leur grossesse. Les travaux de Camille Bataillon m’ont d’ailleurs inspirée sur ce sujet. Elle ne parle pas de « retrouver » mais plutôt de « réinventer » une sexualité post-partum. La science confirme d’ailleurs cette idée : les pratiques sont simplement modifiées durant cette période. Mon titre est volontairement au pluriel afin de refléter les multiples réalités des grossesses, tout comme celles des sexualités.
Peut-on affirmer, selon toi, que la grossesse peut être un moment d’épanouissement sexuel ?
Absolument ! Il est tout à fait possible d’avoir une grossesse tout en restant sexuellement épanouie. Même si cette période atypique limite certaines positions, l’épanouissement reste possible en s’adaptant. Les bouleversements sociaux, physiques, corporels et émotionnels peuvent influencer la sexualité de manière positive ou négative. J’accompagne personnellement des patientes très épanouies avant, pendant et après leur grossesse.
Tu abordes très frontalement les injonctions autour du corps, du poids, du plaisir et du désir. Quelle est, selon toi, la plus toxique pour les femmes enceintes ?
Ce n’est pas une injonction en particulier. Selon mon expérience clinique, c’est plutôt la pression de vouloir absolument faire au mieux pour le bébé. En tant que « bonne mère », la femme enceinte doit tout faire parfaitement pour l’enfant à naître, sous peine de culpabiliser. Cette peur de mal faire est selon moi l’obstacle majeur.
Le mythe de la « madone et la putain » revient souvent dans ton livre. En quoi cette dichotomie reste-t-elle encore aujourd’hui un frein à l’épanouissement sexuel pendant la grossesse ?
Même si les mentalités ont évolué vers plus de permissivité, cette dichotomie persiste. Les femmes des nouvelles générations savent qu’elles ont droit à une sexualité épanouie durant leur grossesse, mais cette représentation continue de les rattraper et de les contraindre.
Tu insistes sur l’importance du lien érotique, même en l’absence de sexualité. Peux-tu nous expliquer ce que tu entends par là ?
Dans mon ouvrage, j’ai volontairement peu explicité ce lien érotique car il est très personnel. Lorsque mes patientes évoquent l’absence de sexualité, je leur demande d’abord ce que signifie pour elles « avoir une sexualité ». La sexualité ne se résume pas forcément à la pénétration ou aux préliminaires. Pour certains couples, un simple baiser peut déjà constituer une forme d’érotisme.
Quels conseils donnerais-tu à un couple qui traverse une baisse de désir pendant la grossesse ?
Tout dépend de qui ressent cette baisse. Si le manque de désir est partagé, cela ne pose généralement pas de problème. Mais lorsqu’il y a un décalage de désir, je conseille avant tout la communication. Les massages peuvent également aider à rétablir l’intimité. Le plus important reste d’instaurer une communication non violente, sans pression ni obligation de se forcer pour satisfaire le désir de l’autre.
Que réponds-tu aux personnes qui pensent encore que « faire l’amour peut faire mal au bébé » ?
Lorsqu’on me pose cette question, je présente une planche anatomique pour expliquer la présence de multiples couches protectrices autour du bébé, afin de montrer que cette inquiétude est infondée. Si cela ne suffit pas, nous explorons ensemble pourquoi cette crainte existe. Généralement, ce problème relève du psychologique, même si ce n’est pas ma spécialité. Souvent, il s’agit d’antécédents ou de traumatismes qui ressurgissent, notamment chez les victimes d’inceste qui peuvent avoir l’impression de vivre ces moments intimes à trois.
Quelles pratiques sexuelles peuvent être particulièrement adaptées ou réinventées pendant la grossesse ?
Dans le livre, j’ai illustré certaines positions car certaines personnes ont besoin de ce support visuel pour être guidées. Pour elles, une image est parfois plus parlante que les mots. Je n’ai cependant pas voulu créer un catalogue de positions afin d’éviter une nouvelle injonction. Mon objectif est d’inspirer et non d’imposer une manière de faire. Malgré certaines hésitations, ces illustrations se sont avérées utiles pour une partie de ma patientèle.
Les sextoys ont-ils leur place dans la sexualité enceinte ? Y a-t-il des contre-indications ?
Oui, les sextoys ont parfaitement leur place dans la sexualité pendant la grossesse. Mes recherches n’ont révélé aucune contre-indication spécifique à leur usage durant cette période. Concernant les sextoys pénétrants, je me suis basée sur les recommandations scientifiques générales relatives à la pénétration lors de la grossesse.
Tu précises que ton approche est inclusive. Comment l’as-tu mise en œuvre concrètement dans le livre ?
Mon titre utilise volontairement le pluriel pour refléter la diversité des grossesses et des sexualités. Dans le texte, j’emploie systématiquement le terme « partenaire » afin de rester neutre et inclusif. J’aborde aussi différentes orientations sexuelles, ne me limitant pas aux couples hétérosexuels, en évoquant notamment le libertinage ou encore les mamans solos. Mon but est de parler à tout le monde sans discrimination.