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Justine ou les malheurs de la vertu, quand Sade titille la morale de sa plume scandaleuse

Si certains romans se savourent au coin du feu, le livre du Marquis de Sade, lui, se déguste plutôt en rougissant discrètement derrière ses rideaux tirés. Publié anonymement en 1791, « Justine ou les malheurs de la vertu » fait frémir les bonnes mœurs autant qu’il éveille les esprits les plus coquins. Justine, l’héroïne dont l’unique péché est sa vertu, se perd dans un monde si libertin qu’il ferait passer les soirées parisiennes les plus osées pour de la bagatelle. Entre critiques piquantes des morales bien-pensantes et scènes sensuelles à faire pâlir les lecteurs les plus avertis, ce roman ne cesse de fasciner par son audace. Alors, accrochez vos ceintures (ou détachez-les, selon votre degré de pudeur) et explorerons cette œuvre provocante qui continue de séduire, de choquer et surtout, de plaire follement, plus de deux siècles après sa publication.

Justine, une héroïne trop vertueuse pour son propre bien

Pauvre Justine ! Cette jeune fille si naïvement vertueuse, si obstinément pure, traverse les pages du roman en subissant une incroyable succession de mésaventures. Convaincue que la vertu sera récompensée tôt ou tard, elle traverse une série d’aventures plus rocambolesques et douloureuses les unes que les autres. Sa sœur Juliette choisit sans hésitation la voie du vice, trouvant ainsi aisément fortune et plaisirs. « La vertu n’est-elle donc jamais récompensée ? » S’écrie-t ’elle. Et Sade, en bon provocateur, lui répond sans équivoque : « Jamais, chère Justine, jamais. »

L’héroïne est victime des pires traitements, précisément parce qu’elle refuse de céder à la corruption ambiante. Sade s’amuse à la torturer moralement et physiquement tout au long du roman, prenant un malin plaisir à punir sa vertu par les pires excès. Le Marquis de Sade, ironique, résume l’affaire ainsi :

« La vertu, quelque belle qu’elle soit, devient le plus dangereux des pièges quand on la confronte au vice. »

Et là où d’autres héroïnes auraient cédé à la tentation, Justine s’obstine à défendre ses principes moraux coûte que coûte. Cette obstination ne manque pas de lui attirer toujours plus de mésaventures, au grand plaisir pervers du lecteur… Et difficile de ne pas sourire devant tant de malheurs absurdes infligés à cette innocente. Elle s’en lamente avec une ingénuité déconcertante :

« Ô vertu ! Je n’ai trouvé dans ton culte que de cruels malheurs »

Les plaisirs coupables du Marquis de Sade

Le marquis de Sade n’a jamais été l’homme des demi-mesures, et Justine ou les malheurs de la vertu ne fait pas exception. L’érotisme de ce roman est aussi provocant qu’implacable. Et si l’héroïne est pure et innocente, ses tourmenteurs, eux, rivalisent d’imagination libertine. À travers chaque épreuve imposée à la pauvre Justine, le lecteur découvre une galerie haute en couleur de personnages pervers, sadiques et totalement décomplexés. Avec une pointe d’humour provocateur, Sade affirme :

« Le plaisir est toujours une affaire d’excès. »

Ici, le désir se mêle à la cruauté, la sensualité à la souffrance, créant un mélange sulfureux qui perturbe autant qu’il fascine. L’auteur explore avec une audace vertigineuse les limites du plaisir et de la morale :

« Il n’est point d’autre volupté que celle que donne le crime »

La sexualité chez Sade est un outil de subversion sociale et philosophique. De sa plume teintée d’un humour noir incomparable, l’auteur prend plaisir à dépeindre les excès libertins de la société de son époque. En exacerbant les pulsions les plus sombres, il met à nu les hypocrisies d’une société qui prétend honorer la vertu tout en pratiquant secrètement le vice.

Le scandale que suscitent les romans de Sade à leur époque n’est d’ailleurs pas étonnant, c’est précisément leur objectif premier. Comme le souligne le spécialiste Maurice Lever dans sa biographie Sade, « l’œuvre sadienne vise moins à exciter les sens qu’à provoquer la pensée en la poussant dans ses retranchements ultimes ».

Une satire cruelle et jubilatoire de la morale

Derrière les scènes d’érotisme explicite, Justine ou les malheurs de la vertu se révèle être une satire mordante de la morale et des institutions de l’époque. Sade critique la justice, l’Église, la noblesse avec un humour noir et une lucidité féroce. En malmenant son héroïne vertueuse, il met en évidence la vanité d’une morale rigide dans un monde corrompu par le pouvoir et la richesse. Une institution religieuse corrompue devient ainsi le décor de cruautés raffinées, comme pour mieux souligner l’ironie grinçante du destin de Justine. Elle se plaint amèrement, illustrant l’impuissance du bien dans un univers pervers :

« La prière est inutile ; le ciel se tait devant mes souffrances »

En exagérant volontairement la souffrance de son personnage, l’auteur dénonce la vanité d’une société fondée sur des illusions morales hypocrites. Au-delà du scandale, Sade fait réfléchir. Son roman interroge crûment la morale et la justice divine : pourquoi la vertu serait-elle systématiquement récompensée et le vice puni ? Justine elle-même, malgré ses malheurs, reste déterminée à prouver la supériorité morale de la vertu, rendant sa persévérance aussi admirable qu’absurde. Elle déclare avec innocence :

« La vertu est un trésor inépuisable, et sa récompense est éternelle. »

Eh bien Justine, on dirait que l’éternité prend tout son temps… Et Sade interroge avec provocation :

« Pourquoi donc la vertu, cette chimère inventée par l’homme, serait-elle nécessairement récompensée ? »

Une question troublante qui ne cesse d’agiter philosophes et lecteurs depuis sa formulation initiale.

Justine ou les malheurs de la vertu reste un roman fascinant, à la fois dérangeant et étrangement plaisant. Le lecteur est constamment balancé entre la compassion et l’ironie, la sensualité et l’effroi. Sade pousse à réfléchir aux failles de la morale, aux limites de la tolérance et au véritable sens de la vertu. Qu’on lise son œuvre par curiosité littéraire, par amour de la provocation ou simplement pour le plaisir trouble de flirter avec les interdits, une chose est sûre : personne n’est indifférent. Et c’est précisément ce que le Marquis de Sade recherchait :

« Lecteur, prépare-toi à rougir… mais surtout à penser. »

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