Le couple libre est-il l’avenir du couple ?

Enquête à cœur ouvert dans les draps froissés de la monogamie moderne
Qu’on se le dise, les nuits parisiennes ne brillent pas uniquement grâce à la Tour Eiffel illuminée ou aux bars branchés du Marais. Elles scintillent aujourd’hui du désir brûlant d’une liberté amoureuse fraîchement assumée. Si l’on en croit les résultats de la toute dernière enquête Ifop pour Gleeden, publiée à l’occasion de la Journée de l’infidélité ce 24 avril 2025, le couple libre, autrefois marginal et sulfureux, semble doucement s’installer dans nos habitudes conjugales. L’Observatoire de l’extra-conjugalité entrouvre les draps (et quelques tabous) sur les pratiques, les envies et les zones floues du couple libre. Avec 2000 Français et 1130 Parisiens interrogés, cette enquête ciselée nous tend un miroir délicieusement indiscret. Et ce qu’on y devine… c’est toute la sensualité hésitante d’un monde qui réinvente l’amour à plusieurs voix et parfois, à plusieurs corps.
Alors le couple exclusif est-il en train de faire son temps, relégué au musée des amours rangées, entre le missionnaire et les lettres d’amour manuscrites ? À l’heure où la fidélité n’a plus la cote dans les grandes villes, où les séries Netflix, les comptes Instagram féministes et les essais en rayon psycho-sexo vantent les mérites de la liberté, l’idée d’ouvrir son couple séduit, intrigue, fait fantasmer et parfois trembler. Mais qu’en est-il vraiment ? Est-ce une mode bobo parisienne, un remède sexy à la routine ou une révolution conjugale portée par un vent post-#MeToo et les désirs d’une génération qui préfère choisir ses règles plutôt que de subir celles des autres ? On fait le point sur les méandres excitants de cette nouvelle voie sentimentale et charnelle.
L’infidélité classique en déroute, l’ouverture en plein essor
Il faut croire que l’infidélité à l’ancienne, celle qui sent la cachette dans le tiroir à chaussettes et les textos effacés à la va-vite, a pris un petit coup de vieux. Bonne nouvelle pour les consciences tourmentées, l’infidélité traditionnelle est en net recul. Seulement 26 % des Français admettent aujourd’hui avoir été infidèles contre 33 % en 2014. Moins de tromperies… mais plus de transparence ? Plutôt, une redéfinition de la fidélité elle-même. Désormais on ne trompe plus, on négocie.
L’infidélité furtive laisse doucement place au consentement mutuel à désirer ailleurs : 15% des Français ont déjà été dans une relation libre et 8% y sont actuellement. Ce chiffre grimpe à 17% dans la capitale. Et si près d’un quart des Parisiens seraient prêts à tenter l’expérience, c’est peut-être que le bitume des grandes villes favorise les frôlements, les rencontres, et un anonymat propice à la légèreté… ou à la transgression. Ville de tous les possibles, Paris semble toujours en avance d’un fantasme ou deux et propice aux expériences amoureuses audacieuses. On y pratique le couple libre avec élégance et discrétion.
Mais que l’on vive à Paris ou à Paimpol, la montée des « situationships », ces relations ni vraiment de couple, ni strictement sexuelles, traduisent un désir collectif de sortir des cases et surtout, de s’inventer des règles à deux, voire à trois, ou plus si affinités.
Qui ouvre le lit ? Genèse, genre et géographie d’une liberté négociée
On pourrait croire que le couple libre est l’apanage des hommes, énième alibi pour coucher sans culpabilité. Mais surprise, dans 52% des cas, l’ouverture est une décision commune. À Paris, les femmes prennent même clairement le pouvoir : 41 % d’entre-elles seraient à l’origine de cette initiative audacieuse, contre seulement 22 % des hommes. C’est un coup de tonnerre pour le patriarcat ! Féminisme oblige, les Parisiennes semblent prêtes à réinventer les règles du jeu amoureux en affirmant haut et fort leur autonomie sexuelle. Le post-#MeToo n’a pas seulement rééduqué les mains baladeuses, il a aussi redonné aux femmes le droit d’exiger du désir, de l’aventure, du plaisir sans justification et de redessiner l’espace conjugal selon leurs propres désirs.
Les données en témoignent : 91% des femmes en couple libre se disent satisfaites de leur relation. À Paris, elles sont 94% à s’y épanouir. Et pour elles, le couple libre, n’est pas une concession, c’est une expansion.
Les hommes, eux, s’autorisent plus de partenaires (51% en ont eu plusieurs, contre 36% des femmes), mais sont moins bavards quand il s’agit de parler de leurs affaires : seuls 31% osent tout raconter, contre 45% des femmes.
Ce vent de liberté souffle aussi dans les rangs politiques et culturels des plus progressistes. Les sympathisants de La France Insoumise sont ainsi deux fois plus nombreux à avoir expérimenté une relation ouverte (32 %), tout comme les cadres et les diplômés du supérieur. Cette pratique dépasse largement le simple cadre privé. Elle devient un acte politique, une remise en cause des normes traditionnelles en matière de sexualité et de genre. Et quoi de mieux qu’un peu de révolution sous la couette pour repenser le monde ?
Le contrat amoureux réinventé : entre règles, désirs et pactes secrets
Ouvrir son couple, oui, mais pas sans garde-fous. Loin de l’anarchie, le couple libre s’écrit sur mesure et repose sur un contrat finement négocié, parfois plus clair que celui des couples dits « exclusifs ». Un pacte non pas de possession, mais de précision.
Les règles les plus répandues ? On protège les corps (préservatif obligatoire dans 61% des cas) et préserve l’intimité conjugale par des règles claires comme ne pas ramener ses conquêtes sous le toit conjugal (52 %) ou ne pas piocher dans le cercle amical (44 %). Dans 36 % des cas, on s’autorise un petit détour voluptueux lors des déplacements professionnels, entre l’hôtel et le séminaire. Ici, la discrétion est une forme d’élégance et une manière de dire : je désire ailleurs, mais je t’épargne les détails. 54 % des couples libres choisissent d’ailleurs de ne pas tout raconter à leurs proches. La liberté, oui, mais pas sur la place publique ! Bref, on libère le sexe, mais on cloisonne les affects en statuant sur un contrat de complicité délicieusement sulfureux.
Et côté partenaires de jeux, non, ce ne sont pas que des coups d’un soir : seuls 29% des couples libres imposent des relations extraconjugales à usage unique. La fidélité émotionnelle, elle, reste la clef de voûte.
Quant à la vérité… elle se décline au cas par cas : 35 % choisissent d’annoncer leurs escapades et 42 % préfèrent le silence élégant d’une absence bien gérée. Entre transparence et opacité choisie, chacun bricole sa version de l’honnêteté. Ce qui semble compter, au fond, c’est de préserver le sentiment de sécurité tout en laissant au désir de quoi s’égarer.
Épanouissement à géométrie variable
Mais alors, est-ce vraiment le paradis du plaisir annoncé et le Saint Graal de la vie à deux ? Pas forcément. L’étude nous révèle une vérité douce-amère : si 84 % des adeptes du couple libre s’estiment très épanouis sexuellement (contre 75 % dans les couples exclusifs), le bonheur sentimental reste équilibré (85 % contre 83 %). Autrement dit, on fait certes monter le thermomètre côté libido, mais côté amour, le modèle exclusif tient encore largement la corde.
Autre enseignement croustillant, la découverte du phénomène de la « compersion ». Derrière ce mot savant se cache une réalité excitante : savoir que son partenaire prend du plaisir ailleurs accroît le désir sexuel pour 65 % des femmes et 50 % des hommes. Les adeptes du couple ouvert ne seraient donc pas uniquement de grands altruistes de l’amour, mais de véritables gourmets du plaisir partagé.
La promesse du couple libre continue d’enchanter et pour beaucoup, ce n’est pas tant une quête de liberté sexuelle qu’une façon d’aimer mieux. Ce modèle de relation permet d’échapper à la routine sans renoncer à l’autre ou de faire de la fidélité un choix, et non un automatisme. Et si ce modèle ne concerne aujourd’hui qu’une minorité socialement située, plutôt jeunes, urbains, diplômés et progressistes, il pourrait bien, demain, redessiner les contours du couple moderne. Comme le résume François Kraus, directeur du pôle genre et sexualités à l’Ifop :
« Loin d’être une simple mode, le couple libre s’inscrit dans un mouvement de fond de remise en cause des institutions traditionnelles mais aussi d’individualisation des parcours affectifs et sexuels. »
Finalement le couple libre n’est ni la fin de l’amour, ni l’apothéose du libertinage. C’est une proposition, un laboratoire du lien amoureux et un espace de réinvention. Il bouscule les certitudes, convoque les fantasmes, oblige à parler, à écouter et à se dénuder autrement. Loin de n’être qu’une mode passagère, le couple ouvert, avec ses règles claires et ses petits secrets bien pliés, semble avoir trouvé sa place. En phase avec les questions post-#MeToo et les aspirations d’un féminisme plus incarné, il propose une liberté sexuelle négociée, consciente et assumée. Une liberté qui ne fait pas l’économie de l’intime, mais le redessine. Toutefois, cette option relationnelle reste socialement très marquée et n’est pas forcément adaptée à tous. Comme le rappelle François Kraus (Ifop), cette configuration exige un équilibre subtil entre capital culturel, ouverture d’esprit et complicité à toute épreuve. Ce n’est pas un terrain de jeu, c’est une chorégraphie, parfois improvisée mais toujours exigeante.
Alors, est-ce l’avenir du couple ? Difficile à dire mais une chose est sûre : il est déjà le présent d’une minorité grandissante qui goûte avec bonheur à cette liberté encadrée. Et comme le souligne Solène Paillet, directrice de la communication chez Gleeden, cette tendance est avant tout une manière de faire naître une énergie nouvelle dans des relations devenues trop ordinaires. Une manière d’insuffler un peu de vertige dans ce qui, parfois, s’endort sous les draps trop rangés. Alors que vous soyez amoureux exclusifs ou flâneurs du désir, une chose est sûre : l’avenir s’annonce moins monogame… mais toujours sensiblement et délicieusement complexe. Et c’est peut-être mieux ainsi.