des polissons

Les évenements

Littérature érotiqueSexualité

Grossesses et sexualités, et si on arrêtait de croire qu’un bébé, c’est la fin du désir ?

Quand une femme enceinte entre dans une librairie érotique en quête d’un Kamasutra de la grossesse et que son libraire répond par la négative, on comprend qu’il y a un sacré vide éditorial à combler. Et ça, Margot Maurel l’a bien compris. Ostéopathe et sexologue, elle signe avec Grossesses et sexualités (La Musardine, 2025) un ouvrage aussi réjouissant que nécessaire. Ni guide médical sec, ni roman à l’eau de rose, c’est un véritable manifeste de la sensualité prénatale. À la fois intime, scientifique, poétique et drôle, ce livre dépoussière les idées reçues et invite les corps ronds de désir à s’exprimer sans gêne. L’autrice ne cherche pas convaincre de faire l’amour à tout prix pendant la grossesse mais souhaite qu’on se sente libre d’en avoir envie ou pas. Chronique d’un ouvrage à lire même (et surtout) avec un utérus habité.

Les injonctions en embuscade

« Pour certaines personnes, sexualité et maternité sont incompatibles », explique Margot Maurel. Ce n’est pas tant le bébé qui dérange, c’est ce qu’il représente : la bascule vers un rôle de mère, encore trop souvent incompatible avec l’image de la femme désirable. Entre la madone et la putain, il faudrait choisir. Or, comme le rappelle l’autrice,

« cette ambivalence entre la mère et la putain, c’est un tout.».

Mais les injonctions guettent. L’idéal de la belle femme enceinte, rayonnante mais pudique, sensuelle mais pas trop, hante les réseaux sociaux et les cabinets médicaux. Le poids ? Scruté. Le désir ? Suspect. La sexualité ? Soumise à caution. Et bien trop d’images à concilier : amante, mère, déesse hormonale, future éducatrice Montessori… Côté partenaire, on n’ose plus voir l’autre comme une amante. Comme si la grossesse n’était qu’un long tunnel d’abstinence chaste, ponctué de recommandations hygiéno-morales. Mais la bonne nouvelle : « Nous avons le droit d’être les deux. » Madone et putain, voire, ni l’une ni l’autre. La sexologue dézingue joyeusement ces diktats, qu’ils soient de conduite ou de performance :

« Ces pressions face au plaisir, à la performance et au désir sont inutiles à plusieurs égards : cela n’aboutit pas aux résultats escomptés et peut même être bloquant. »

Petit éloge du sexe enceinte

Non, la grossesse n’est pas une période de parenthèse asexuée. En tout cas, pas obligatoirement. La sexualité pendant la grossesse ne disparaît pas, elle se transforme. Pour certaines, c’est même une renaissance sensuelle. Libido en feu, orgasmes décuplés, fantasmes démultipliés… Les hormones peuvent faire des merveilles. « Le sexe enceinte, c’était devenu une drogue », confie une patiente dans le livre. Pourquoi ? Parce que le corps change et parfois cela peut être grisant. Le corps enceinte devient un terrain de jeu sensoriel inédit. Les seins deviennent hypersensibles, la vulve s’embrase sous l’effet de l’afflux sanguin, et les zones érogènes secondaires se réveillent avec fougue. Le périnée, ce méconnu, devient un acteur de premier plan. Quant au clitoris… disons qu’il ne prend pas de vacances. Mais parfois, tout s’arrête : plus d’envie, plus d’énergie, plus de lubrification. Et c’est tout aussi normal. Comme le résume Margot Maurel :

« Le désir peut être particulièrement dynamité pendant la grossesse : à la hausse comme à la baisse »

La sexologue propose même un rituel tout simple, sensuel et puissant pour se redécouvrir : se regarder la vulve dans un miroir, trimestre après trimestre. « Vous êtes l’experte de votre vulve ! » proclame-t-elle avec une douce autorité. Voilà qui donne envie de poser son miroir au sol et de faire connaissance avec soi-même.

Du slow sex au jeu des sens

L’idée n’est pas tant de réussir sa sexualité de grossesse mais plutôt d’en inventer une, adaptée. Le sexe ne se résume pas à la pénétration et le désir ne s’évalue pas à l’aune d’un orgasme, encore moins lorsqu’on est enceinte et qu’on a la veine cave coincée entre deux coussins d’allaitement. Le plaisir peut venir du lien, d’un regard, d’une caresse ou d’un mot bien placé. L’auteure rappelle l’intérêt du slow sex : ralentir, sortir du schéma pénétration-éjaculation-orgasme, s’attarder sur le toucher, l’écoute, les frissons. Tester. Rire. Réessayer. Réinventer. Et parfois, tout simplement, se faire des câlins sans lendemain. Le plus important est de garder du lien, même sans libido.

« Ce n’est pas l’absence de sexualité qui pose le plus de difficulté aux femmes et aux couples, mais bien une absence du lien, érotique ou non ».

La sexologue encourage les couples à « saupoudrer d’érotisme le quotidien », même sans passage à l’acte. Le désir devient un jeu, pas un but. Un terrain d’expression et non une performance.

Fausse couche, douleur, libido en berne

Ok, mais le bébé dans tout ça ? Il flotte, ne voit rien et ne comprend rien. L’embryon est protégé par le liquide amniotique et les membranes utérines. Selon certains sexologues, « c’est comme s’il prenait un bon jacuzzi ». Alors non, faire l’amour n’entraîne pas de fausse couche, un orgasme ne déclenche pas forcément l’accouchement et le bébé ne va pas se souvenir des ébats de ses parents. Mais La grossesse, loin d’être toujours douce, peut être traversée de douleurs, de peurs ou de deuils. Et parfois, le sexe devient inaccessible. Et Margot Maurel déculpabilise, encore et toujours.

« La sexualité peut être absente comme très présente. Je ne pense pas que cela change quoi que ce soit à la sexualité post partum. »

La pénétration n’est pas un impératif. La masturbation est permise et les sextoys sont les bienvenus (sauf contre-indications médicales spécifiques). Il n’y a que peu de véritables interdits médicaux (placenta prævia, risque d’accouchement prématuré…). Tout le reste n’est souvent que mythe et l’autrice les démonte un à un, preuves et études à l’appui.

La grossesse peut secouer les dynamiques amoureuses. Le passage de la sexualité pré-bébé à celle avec bébé à bord est parfois vertigineux. Mais cela peut être une formidable opportunité pour renforcer la complicité, à condition de parler et de se confier. Il faut oser l’intime autrement. Margot Maurel consacre un chapitre entier à la communication, au libertinage, à la boîte à idées érotiques. L’idée « Explorer ensemble, s’écrire une légende sensuelle à deux ». Il n’y a pas de vérité unique, mais des trajectoires sensuelles plurielles.

Dans son ouvrage, l’auteure ne livre pas de recettes miracles mais elle trace des pistes. Et en somme, la sexualité prénatale n’est ni un devoir, ni une interdiction. Elle peut être joyeuse, inventive, chaotique, absente, voire bouillonnante. L’essentiel, c’est de s’écouter, de faire la paix avec ses envies (et ses non-envies) et d’oser en parler. Alors si, pour une fois, on osait dire, à voix haute, que maternité et sensualité peuvent faire bon ménage ? Comme le dit Margot Maurel :

« Se sentir en adéquation avec ses désirs et non désirs tout en gardant une complicité intime : c’est bien l’objet de cet ouvrage. »

Leave a reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *