des polissons

Les évenements

Littérature érotiqueNotre sélection

Fanny Hill, femme de plaisir, confession d’une jouisseuse en corset

« Je n’avais pas honte. Je n’avais plus peur. J’avais joui, et c’était là ma seule confession. »

On l’a longtemps cachée sous les comptoirs, lue à la lueur d’une chandelle tremblante, offerte entre quelques ricanements ou refermée à la hâte, une main dans la culotte, l’autre sur la couverture. Fanny Hill, l’interdite, la scandaleuse, la putain littéraire mais surtout, la narratrice. Celle qui ose dire, jouir et écrire. Ce roman, souvent réduit à une œuvre pornographique avant la lettre, est en réalité un bijou d’écriture sensuelle et un manifeste doux de la liberté sexuelle féminine, bien avant que le mot féministe ne se glisse dans les salons. Publié en 1749 dans une Angleterre corsetée par la morale chrétienne, Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir ne retrace pas simplement les aventures d’une courtisane. Il raconte le corps d’une femme qui se raconte elle-même. Et ça change tout. Dans la voix de Fanny, il y a la naissance d’une idée neuve : celle d’un plaisir féminin qui pense, choisit et s’écrit. Chronique d’un plaisir qui ne se cache pas, qui ne se punit pas, qui se décline au présent, et qui fait de la littérature un lieu érotique aussi puissant qu’un lit défait.

Naissance d’une héroïne du plaisir

Elle s’appelle Fanny, Fille de rien, presque morte de faim, orpheline sans dot ni destin. Et pourtant, elle écrit l’un des récits les plus subversifs du XVIIIe siècle. Un texte de chair et de phrases, d’orgasmes et de lettres, où le corps féminin ne se tait plus mais parle, observe, choisit et surtout, jouit. Memoirs of a Woman of Pleasure, que l’on connaît sous le nom de Fanny Hill, paraît pour la première fois en 1749 à Londres, dans un parfum de scandale et de foutre interdit. Son auteur, John Cleland, alors emprisonné pour dettes, livre un roman qui dérange autant qu’il fascine. Son texte est entièrement rédigé à la première personne, dans la voix d’une femme, prostituée assumée et narratrice de ses propres plaisirs. Et ce choix est révolutionnaire pour l’époque. Fanny écrit depuis le lieu même de la marginalité sociale et sexuelle, mais elle le fait sans honte, sans misérabilisme et sans besoin d’excuse ou de rachat. Elle est la putain qui pense, qui regarde, qui raconte et qui jouit avec style. Une narratrice maîtresse d’elle-même, qui ne demande rien sinon à être lue, dans toute la vérité de son désir.

« Ce dard soyeux, encore endormi, sembla s’éveiller sous ma paume comme un animal docile. »

Et c’est cette voix-là, libre, vive et sensuelle, qui fait tout le sel de Fanny Hill. Car il ne s’agit pas d’un roman érotique de plus, mais bien d’un récit d’émancipation à travers la chair.

La prose comme caresse et la littérature comme lit

Le roman est une longue lettre, une confession adressée à une autre femme. Mais cette lettre n’a rien du repentir. Fanny ne cherche ni absolution, ni pathos. Elle raconte sa vie de courtisane comme on déroulerait un long ruban de soie humide : sensuellement, méthodiquement, dans le détail du souvenir et la volupté du mot juste.
Le style de Cleland est somptueux : un baroque érotique, une prose ornée, fleurie, mais jamais pesante. Sa plume caresse avant de pénétrer. L’auteur parle de sexe sans jamais l’appauvrir dans la crudité. Ici, l’acte de chair n’est pas nu mais vêtu de métaphores qui ne cachent rien, ouvrent et révèlent. Le pénis devient « le sceptre glorieux », « la verge couronnée » et « l’instrument de volupté ». La vulve, elle, est un « nid tiède », une « bouche affamée » ou un « sanctuaire humide ». Et sous cette poésie parfois kitsch, il y a une mécanique implacable : celle de l’éveil féminin raconté par une femme.

« Je sus alors que le plaisir n’était pas ce que l’on me donnait, mais ce que je prenais. »

Chaque scène sexuelle est racontée avec une minutie troublante, non pour exciter, mais pour montrer que le plaisir est un récit à part entière. L’auteur tend à prouver que ce récit peut se construire avec intelligence, style et une certaine idée de la littérature. Dans Fanny Hill, il y a cet art rare de faire du sexe une narration. Le roman n’est jamais répétitif et chaque épisode explore un angle différent : la première fois, la masturbation, l’amour lesbien, la jalousie, la trahison, la prostitution, le plaisir entre femmes, le plaisir sans amour ou l’amour sans plaisir. Et toujours, Fanny regarde, comprend et décide.

Fanny Hill ou la souveraineté des corps

Ce qui frappe aujourd’hui, à la relecture, c’est la modernité renversante du texte. Fanny Hill, c’est le roman du clitoris avant la lettre, du consentement comme narration et de la jouissance comme pouvoir. Dans un monde où les femmes sont souvent réduites à leur silence ou à leur utilité, Fanny s’exprime. Elle parle du sexe, de sa propre excitation, de ses désirs contradictoires, de ses regrets et de ses emballements. Et elle le fait dans une langue claire, fluide, joyeuse et parfois mordante. Elle est l’anti-Faubourg Saint-Germain et l’anti-Sade. C’est la putain philosophe qui comprend que la sexualité est une force, un vecteur de liberté et un refus du destin social.

« À quoi bon cacher ce que le corps hurle dans la nuit ? »

Et ce n’est pas un hasard si Fanny finit heureuse. Elle retrouve son amour perdu et quitte le métier, mais ne le renie pas. La narratrice n’est pas punie ni défigurée par la morale. Elle a vécu, pleinement et elle écrit sans amertume, sans regret et sans besoin de justification. Ce refus de la pénitence, dans une littérature de l’époque, est radical.
Fanny n’est pas seulement un personnage de fiction, c’est une vision, une utopie charnelle et une proposition politique. Lire cet ouvrage aujourd’hui, c’est relire avec douceur les mots d’une femme qui, en pleine époque victorienne avant l’heure, a dit : “Oui, je me suis donnée. Et c’est en me donnant que je me suis trouvée.”

Finalement, il y a dans Fanny Hill ce que la plupart des romans érotiques contemporains oublient : la lenteur, la langue et le lien. On n’y jouit pas en deux paragraphes. La scène sulfureuse se prépare comme un repas délicat et l’étreinte est pensée comme une composition musicale. Et si le livre a été censuré, brûlé, interdit, c’est sans doute parce qu’il disait quelque chose de trop grand pour son siècle : le plaisir féminin n’est pas une faute, c’est une voix. Et quand cette voix écrit, c’est toute la littérature qui se met à jouir.

« Je n’étais plus à vendre. J’étais à lire. »

Leave a reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *