Q1. Votre projet « In Bed With… » explore l’intimité sur huit ans. Comment cette idée a-t-elle germé ?
Je n’ai pas consciemment cherché à devenir photographe de l’intime, c’est venu à moi naturellement. Tout a commencé lors d’un voyage avec une amie où, presque spontanément, j’ai capturé un moment intime. Ayant été mannequin, je vivais sous l’objectif des autres : passer derrière l’appareil photo m’a permis de reprendre possession de mon image, d’affirmer ma vulnérabilité et d’explorer l’intimité sous un angle profondément personnel.
Q2. Vous parlez de ce livre comme d’un journal intime immersif. Comment avez-vous construit cette narration visuelle ?
Je souhaitais que ce livre ait réellement l’apparence d’un journal intime, jusque dans son format 17×24, une dimension choisie pour son caractère intime et familier. J’ai collaboré étroitement avec une graphiste pour affiner la sélection des images et la fluidité narrative. Nous l’avons construit comme une histoire d’amour : une entrée douce, un milieu où passion et folie s’entremêlent, puis une conclusion douce et câline, comme un flottement amoureux, suspendu dans le temps.
Q3. Vous travaillez exclusivement à l’argentique et au polaroid. Pourquoi ce choix technique pour exprimer l’intime ?
L’argentique est ma technique de prédilection depuis toujours. Le procédé manuel, du développement au tirage, me permet une vraie sélection émotionnelle. Je garde seulement les clichés essentiels. Contrairement au numérique, qui propose une immédiateté différente, l’argentique me permet de saisir des sensations profondes, des nuances plus subtiles et surtout, d’être véritablement impliquée dans chaque étape du processus créatif.
Q4. Votre travail aborde subtilement l’érotisme, la tendresse et une forme de « pudique impudeur ». Comment parvenez-vous à maintenir cet équilibre délicat entre dévoilement et respect ?
Je garde une distance physique grâce à l’objectif, qui agit comme un filtre rassurant et un voile pudique. Le flou volontairement créé permet d’éviter un rapport frontal à l’image et donne une certaine douceur à la scène. Chaque couple photographié a ses propres limites, qu’ils me communiquent naturellement. Et puis, le lieu participe aussi à cet équilibre, influençant énormément l’atmosphère.
Q5. À l’ère du tout digital et d’Instagram, comment votre pratique argentique s’inscrit-elle dans cette temporalité particulière ?
Même si aujourd’hui la photographie argentique bénéficie d’un regain d’intérêt lié à la nostalgie, c’est une pratique que j’ai adoptée il y a plus de dix ans, avant cet effet de mode. Cette technique correspond profondément à ma sensibilité. L’attention particulière que je porte au traitement chimique et à la texture même de l’image, me permet de créer des visuels uniques et incarnés. Utiliser de la pellicule périmée ajoute d’ailleurs une part d’aléatoire et d’imprévu qui magnifie encore davantage l’authenticité du résultat.
Q6. Vous annoncez un documentaire pour Playboy TV Europe prévu pour octobre 2025. Quel lien existe-t-il avec votre série photographique et comment avez-vous abordé cette transition vers l’image animée ?
Ce documentaire était une carte blanche, une opportunité de développer une approche plus large tout en restant fidèle à mes intuitions. J’ai choisi d’y inclure des réflexions très personnelles, notamment un discours de mon grand-père, âgé de 94 ans, sur sa perception du couple moderne. Cette transition vers l’image en mouvement a enrichi ma démarche artistique, offrant une autre dimension de narration, avec une esthétique très soignée, proche d’un mode d’emploi poétique sur les relations amoureuses.
Q7. Parmi les retours reçus, y en a-t-il certains qui vous ont particulièrement marquée ?
La couverture presse de Libération et les quatre jours d’exposition ont généré des retours particulièrement positifs et touchants. J’ai été sensible à l’expression utilisée par L’œil de la photographie, qui qualifie mon travail de « collection de moments suspendus ». C’est exactement cela que j’espérais transmettre : une suspension du temps, capturant des instants intimes hors du quotidien habituel.
Q8. Quels sont vos projets après « In Bed With… » ? Une nouvelle série, un livre ou d’autres collaborations ?
La série va certainement continuer à évoluer, même si une nouvelle édition n’est pas encore décidée. Mon attention se tourne désormais vers la sortie prochaine du documentaire. Par ailleurs, je travaille également à une nouvelle série d’autoportraits, une manière intime de poursuivre ma réflexion sur la vulnérabilité et l’amour à travers le corps.
Ce projet, débuté avec des couples amis et ensuite prolongé grâce à Tumblr et à mes connexions du mannequinat, est devenu une véritable exploration : une façon de se voir autrement, de dépasser les frontières du corps pour atteindre l’essence même de l’amour et de l’union.